La rétrospective « Planète Marker » organisée par le Centre Pompidou du 16 octobre au 22 décembre 2013 offre l’occasion de revenir sur la relation du photographe, écrivain et cinéaste français avec l’Iran. Si aucun de ses films ne fut consacré uniquement à ce pays, l’Iran ne fut pas pour autant absent de son œuvre. En effet, l’auteur s’y est rendu en 1963 à l’invitation du cinéaste et critique Farrokh Ghaffari pour assister au premier Festival du film français de Téhéran. Il fit à cette occasion la connaissance de Forough Farrokhzad qui le marqua profondément. Le cinéma de Marker qui s’étend de 1952 à 2012 ne pouvait réellement ignorer l’Iran. Outre Farrokhzad, d’autres personnalités iraniennes ont retenu son attention.
Takhti en 52 et 64
La rencontre entre Marker et l’Iran aurait pu se faire dès son premier film, Olympia 52. En effet, au début des années 50, le jeune écrivain qui travaille pour Peuple et Culture décide de réaliser un film sur les Jeux Olympiques d’Helsinki où l’Iran remporte une médaille d’argent grâce à Gholamreza Takhti. Malheureusement, le matériel dont disposait le cinéaste ne lui permettait pas d’enregistrer les sports d’intérieur. Nous sommes donc privés d’image du champion iranien dans Olympia 52. À défaut d’avoir pu en rendre compte dès son premier film, Marker évoque Takhti, 12 ans plus tard, dans Le Mystère Koumiko (1964), tourné en marge des Jeux Olympiques de Tokyo, où celui-ci remporte une victoire sur le japonais Sunichi Kawano. On sait la place qu’occupe aujourd’hui l’athlète – médaillé d’or à Melbourne en 1956 – dans la mémoire collective iranienne. Son effigie est présente dans de nombreux magasins. Qu’un amateur de sport comme Marker l’ait mentionné méritait d’être relevé.
« Petite Planète » : le souvenir de Mossadegh
En 1957, Vincent Monteil signe sous la direction de Chris Marker le numéro 13 de la collection « Petite Planète » consacré à l’Iran. Crée en 1954 aux Editions du Seuil, cette collection de guides de voyage avait pour but de renouveler la présentation d’un pays en associant le texte et l’image. C’est le portrait de Soraya qui figure sur la couverture de la première édition en 1957 ainsi que de la seconde en 1960. Deux clichés Match, où elle passe d’un visage grave à une esquisse de sourire. On trouve à l’intérieur d’importants développements sur la politique iranienne et plus particulièrement sur le gouvernement de Mohammad Mossadegh dont la chute apparaît comme l’un des événements les plus marquants de l’Iran contemporain. Une note évoque l’implication de la CIA dans cet épisode. En 1965, dernière année où Marker dirigea la collection, on trouve en couverture le visage d’une écolière. La famille royale apparaît à travers une photographie encadrée au milieu de tableaux dans un marché de Téhéran. Les pages sur Mossadegh restent inchangées. En 1978, un visage de femme caractéristique des années 70 se présente au lecteur. Le livre qui se terminait jusqu’ici sur la spiritualité iranienne évoque dans ses dernières pages les manifestations qui agitent le pays. Mossadegh est à nouveau présent mais on trouve pour la première fois, parmi les illustrations, une photographie de Khomeyni. On sait que par la suite Vincent Monteil soutiendra la Révolution islamique. En attendant ces quatre volumes témoignent de l’évolution de l’Iran de 1957 à 1978, d’une révolution réprimée à la veille d’un soulèvement.
Téhéran 63 : la magie de Farrokhzad
En 1963, Marker s’était rendu pour la première fois en Iran. Ce qui l’impressionne, c’est le ciel de Téhéran qui ne ressemble à aucun autre. Il en rapporte des photographies que l’on trouve dans Si j’avais quatre dromadaires(1967) mais aussi sur le CD-Rom Immemory (1997) et son livre-album Staring Back (2007). Sa rencontre avec Forough Farrokhzad et la découverte du film La Maison est noire (1963) le bouleversent. A la mort de la poétesse, il rédige un texte-hommage pour la revue Cinéma 67. C’est sans doute la première fois que le nom de Farrokhzad apparaissait dans une publication française. Le texte sera repris dans le catalogue « Portraits de Téhéran » du Forum des images en 2003 puis par la revue Cinéma 07 au printemps 2004. La Maison est noire est considéré aujourd’hui comme le point de départ de la Nouvelle Vague iranienne. Parmi les premiers, Marker aura su le voir et le dire avec justesse.
« Cinéma 67 », juin, n°117, p. 8-9.
1979-2009, d’une révolution, l’autre
L’Iran est présent dans Le Fond de l’air est rouge qui retrace 10 ans de militantisme de 1967 à 1977. Au début du film, le cinéaste rappelle la visite du Shah à Berlin le 2 juin 1967 et la répression violente qui s’ensuivit. Les manifestants étaient rossés à coups de latte par le service d’ordre et un étudiant allemand y laissera la vie. Plus tard, il sera question des cérémonies de Persépolis commentées par Léon Zitrone. « Roi des rois, Roi des Aryens », dit le commentateur de la télévision française. Sorti en 1978, un an avant la révolution islamique, le film est complété en 1993 par un épilogue où « ayatollah » figure parmi les mots qui pour la génération des Sixties n’avaient tout simplement aucun sens.
Au cours des années 80, Marker donne le sentiment de s’éloigner de la politique. Le cinéaste semble toujours espérer un changement politique mais en s’intéressant désormais aux nouvelles technologies. Ce qu’il formule dans Sans soleil (1982) en évoquant « une écriture dont chacun se servira pour composer sa propre liste de choses qui font battre le cœur (…), ce jour-là, la poésie sera faite par tous ». C’est ainsi que l’Iran va réapparaître dans son œuvre. En effet, au moment des manifestations de 2009, Marker compose le collage « Réminiscence ». Dans ce commentaire de l’actualité qui suit les manifestations provoquées par la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, Guillaume-En-Egypte, le chat tigré, se tient près du portrait de Forough Farrokhzad en réponse aux chars surmontés des effigies de Khamenei, Ahmadinejad, Hassan Nasrallah comme un rappel du printemps de Pékin, 20 ans plus tôt.
Mossadegh, Takhti, Farrokhzad, trois figures de la modernité iranienne. Ce sont ces noms qui sont aujourd’hui le plus souvent cités par les intellectuels, sportifs et artistes iraniens quand il s’agit d’évoquer un passé porteur de promesses, celui d’un autre Iran, comme « le souvenir d’un avenir » dont Marker aura été le contemporain.
Bamchade Pourvali