Repères — 5 novembre 2012 at 3 h 30 min

Remarques critiques sur trois 1ers films iraniens sortis en France

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La sortie d’Une famille respectable de Massoud Bakhshi amène à nous interroger sur l’accueil critique de certains premiers films iraniens sortis en France. En effet, le film de Bakhshi n’est pas sans rappeler celui de Reza Serkanian : Noces Ephémères ou de Maryam Keshavarz : En Secret qui avaient bénéficié d’un même élan unanime de la presse parlant à leur propos de « révélations » mais laissant sceptiques de nombreux spectateurs iraniens. Si ces films déçoivent, c’est par leur propos confus et leur absence de vision sur l’Iran sinon caricaturale et conservatrice. C’est le point le plus étonnant.

En effet, par la nature de leur sujet et l’âge de leur réalisateur, ces films auraient pu témoigner de façon juste et précise de la situation en Iran comme d’autres films ont pu le faire. Je pense notamment à Pour un instant, la liberté (2009) d’Arash T. Riahi, film qui n’a pas bénéficié de la couverture médiatique des trois autres : il n’a été sélectionné dans aucun grand festival et n’est sorti que sur 5 copies à Paris. Ou bien Women without men (2009), première réalisation de la plasticienne Shirin Neshat d’après le best-seller de Shahrnoush Parsipour qui s’intéresse à l’Iran au moment du coup d’État de la CIA en 1953 et est dédié à tous ceux qui se sont battus pour la démocratie et la liberté en Iran de 1906 à 2009, film qui n’est sorti en France qu’en 2011, deux ans après sa réalisation.

Noces-ephemeres-petites-fillesÀ l’inverse, les trois films qui nous occupent affichent des soutiens prestigieux de la part de la critique quand leur propos reste pour le moins obscur. L’une des caractéristiques de ces films est la confusion temporelle et géographique. En effet, tous sont censés se dérouler en Iran à l’époque contemporaine mais on y trouve finalement peu de repères précis. Ainsi une grande partie de Noces éphémères pourrait avoir lieu au 19ème siècle par les pratiques mises en scène (circoncision d’enfants de 8 ans au rasoir, réunion des femmes en tchador dans la cour d’une maison en pierre et en bois, prière incessante d’un vieil homme en tenue traditionnelle). La seule scène documentaire du film se déroule lors des processions de l’Achoura et montre des petites filles le visage recouvert d’un tissu vert hurlant des slogans hostiles à l’Occident. Leur instructeur en profite pour expliquer à la caméra que ce vert n’est pas celui du mouvement vert mais de l’Islam. Ainsi la seule allusion au monde présent est clairement une critique de l’opposition. D’où vient alors que le film ait pu bénéficier d’une telle aura jusqu’à être qualifié par Jean-Michel Frodon « d’un des films les plus attentifs et les plus sensibles sur bien des aspects de la société iranienne qu’on ait pu voir récemment » (Lire l’article de Jean-Michel Frodon sur Noces éphémères ici). Il faut savoir que le réalisateur n’a pas trouvé d’acteur professionnel prêt à jouer dans son film car ils trouvaient le scénario démodé. Mahnaz Mohammadi qui incarne le rôle principal est une cinéaste documentariste. Elle ne fut pas autorisée à venir à Cannes quand le film fut présenté dans la sélection de l’ACID en mai 2011. Son arrestation le 26 juin de la même année n’est pas liée à ce film mais au désir de la réalisatrice de se rendre en Allemagne pour filmer la coupe du monde de football féminin. C’est pourtant de cet épisode que profitera Noces éphémères dont l’affiche reproduit le visage de Mahnaz Mohammadi avec un foulard vert ! On peut certes trouver à Noces éphémères des qualités plastiques, être sensible à certains plans qui évoquent les miniatures persanes ou l’art des tapis. Si tout cela est vrai, le film n’en reste pas moins étouffant et donne une des images les plus pieuses de l’Iran qu’on ait vu à l’écran depuis Jamais sans ma fille (1991). Qu’un cinéaste iranien signe un tel film est déconcertant. Malheureusement, son cas n’est pas unique.

En-secret-bronxMaryam Keshavarz avec En secret livre un film tout aussi confus. Vivant aux États-Unis, la réalisatrice a voulu aborder le thème de l’homosexualité féminine et son interdiction en Iran. D’emblée, elle verse dans l’orientalisme le plus éculé. Le générique nous montre une danse du ventre sur une musique sirupeuse. Nous sommes ensuite conduits dans la cour d’une école où deux jeunes filles répondent à l’appel. Sur le chemin du retour, elles passent devant des graffitis dignes du Bronx en mâchant du chewing-gum. Où sommes-nous ? Difficile à dire. À l’intérieur des maisons, les cheveux défaits (nouveauté par rapport aux films tournés en Iran), une des filles joue du piano dans une lumière mordorée. On peut trouver là encore l’esthétique très belle, elle n’en est pas moins vaine et muséifiée comme le gramophone Pathé Marconi sur lequel le père fait écouter des disques de Bach à sa fille. En secret raconte l’histoire d’un frère revenu de l’étranger qui se tourne vers la religion et épouse la meilleure amie de sa sœur devenant un tyran domestique. Ancien toxicomane, il passe son temps à surveiller sa femme et sa sœur à travers des caméras dissimulées dans l’appartement. Si la réalisatrice a voulu traduire les sentiments de frustration d’une jeunesse née après la Révolution, on est surpris par son absence de recul. Elle semble en effet épouser entièrement la vision de ses protagonistes. Lors d’une promenade en forêt, l’une des filles reproche à son père d’avoir fait la Révolution. Cela aurait pu être l’occasion d’une explication mais il n’y a aucun argument échangé. Les deux partis restent muets. La jeune fille part et le père accuse le coup. Il se tournera à la fin vers la religion ! Le film est une collection d’images disparates qui traduisent la vision de la réalisatrice qui semble confondre la situation de jeunes gens se tournant vers l’Islam en Occident afin de trouver des repères et d’autres fuyant la religion dans la drogue comme c’est le cas en Iran. Ces deux mouvements sont mêlés à travers le personnage du frère ancien addict trouvant son salut dans la religion. À la fin du film, on assistera à une soirée regroupant des jeunes femmes sans voile et des Gardiens de la Révolution sans que cela ne produise d’altercation. Mais cela n’a déjà plus d’importance. On a alors renoncé depuis longtemps à essayer de comprendre le film.

unefamillerespectable604-604x400Une Famille respectable est hélas dans la même lignée. Le film déconcerte d’emblée par le jeu maladroit des acteurs. On veut croire à un parti pris de la part du réalisateur pour souligner la perte de repères de son personnage principal. Mais rien ne viendra nous confirmer la raison de ce sentiment de flottement. Si le scénario fait miroiter la promesse d’une réflexion sur l’Iran actuel, ce sentiment reste en attente tout au long du film. À travers des flashbacks inutilement compliqués et des images d’archives sans explication, le réalisateur construit un puzzle autour d’Arash, intellectuel éteint et renfermé sur lui-même. On ne comprend pas par ailleurs la raison pour laquelle le cinéaste a jugé utile de dépeindre un personnage féminin obsédé par la propreté et ne laissant apparaître aucune mèche de cheveux sous son voile portée à la manière des pays arabes ! Finalement, le seul personnage sympathique est le demi-frère corrompu et ancien Bassidji. Ce qui est pour le moins dérangeant. Le mouvement vert n’est évoqué qu’à la toute fin, hors champ, à travers une manifestation que regarde passer Arash. Or c’est le véritable film qu’il aurait fallu faire !

Si nous nous permettons d’écrire ces remarques, c’est pour exprimer notre déception et espérer que ces cinéastes donneront d’autres films, différents et meilleurs, où il sera enfin question de l’Iran actuel. Nous voudrions aussi inciter les distributeurs à s’intéresser à des cinéastes dont les œuvres sont encore inédites en France. C’est le cas de Mania Akbari, l’actrice de Ten (2002) de Kiarostami, et auteur de quatre longs métrages qui abordent de nombreux sujets (dont l’homosexualité féminine, par exemple) avec beaucoup plus de talent et d’audace, éclairant la situation des intellectuels et des femmes iraniens à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Contrairement à ce que prétend Jean-Michel Frodon, le cinéma iranien est vivace, dessinant un horizon, encore faudrait-il montrer les bons films !

Bamchade Pourvali