Jafar Panahi avait été contraint pour ses deux derniers films de tourner en huis clos, d’abord dans son appartement de Téhéran avec Ceci n’est pas un film puis dans une villa près de la Mer Caspienne avec Closed Curtain. Avec Taxi Téhéran, il retrouve la ville et ses habitants dans un dispositif qui rappelle Ten d’Abbas Kiarostami.
Dans ces lieux de mixité sociale que sont les taxis collectifs en Iran, Panahi traite des différents maux de la société: la peine de mort, l’inégalité homme-femme dans le couple, la superstition, les relations de voisinage, les trafics de DVD ou de CD.
On retrouve dans le film des figures familières de son cinéma. Ainsi les deux vieilles dames et leurs poissons rouges rappellent Le Ballon blanc qui racontait une histoire similaire à travers une petite fille qui rêvait d’avoir un poisson rutilant et dont la sœur cadette jouera plus tard dans Le Miroir. Ce dernier film est d’ailleurs cité directement à travers la nièce du cinéaste qui se tient devant l’école où débutait ce deuxième long métrage de Panahi. Plus tôt, Omid, le vendeur de DVD, remarquera dans la conversation un dialogue entendu dans Sang et or. De même, l’avocate Nasrine Sodouteh comparera la situation de Ghoncheh Ghavami, arrêtée pour avoir voulu assister à un match de volleyball masculin, aux filles de Hors-jeu.
Outre les trois caméras embarquées, d’autres appareils d’enregistrement sont présents dans le film : le téléphone portable, l’appareil photo, la tablette numérique. Si tout le monde filme, tout le monde n’est pas pour autant cinéaste. Ainsi, après avoir énuméré les conditions nécessaires pour qu’un film soit « diffusable », Hana, la nièce du cinéaste, s’aperçoit que la situation est plus complexe quand elle doit tourner. C’est ce doute et cet esprit critique qu’enseigneTaxi Téhéran. Le film devient une réflexion sur la place des images et le rôle du cinéaste dans une société en transformation. Doit-il obéir aux lois, en s’autocensurant, ou montrer la réalité dans sa complexité ?
En effet, bien qu’il porte la casquette de chauffeur de taxi, Panahi ne cesse d’être sollicité comme cinéaste par un jeune étudiant désœuvré ou un ancien voisin ayant vécu une aventure marquante. Il y a une ironie de la part de Panahi qui donne l’impression d’avoir renoncé à son métier tout en livrant le récit de sa journée sous la forme d’un film.
Prix Sakharov 2012 en même temps que le cinéaste, Nasrine Sodouteh, avocate des droits de l’homme, vit elle aussi sous la menace de ne plus pouvoir exercer son métier. Et pourtant, elle garde le sourire. La rose qu’elle dépose sur le tableau de bord est une image de paix. Elle pourrait être la dernière du film. Elle l’est d’une certaine manière. Même si un autre événement montrera la fragilité de cet instant rappelant la situation du cinéaste.
En effet, comme dans ses précédents films, Panahi promène avec Taxi Téhéran un miroir le long d’un chemin regardant en arrière mais aussi en avant pour offrir un portrait de la société iranienne et résister à la censure, la vraie « noirceur ».
Bamchade Pourvali