Repères — 15 mai 2012 at 6 h 55 min

FreeIran.com

La contestation qui éclata en Iran après l’annonce des résultats des élections présidentielles du 12 juin a été marquée par l’engagement de nombreux cinéastes. Certains ont été interpellés (Jafar Panahi, Bahman Ghobadi), d’autres ont choisi l’exil, comme Mohsen Makhmalbaf. Mais c’est sur Internet que s’est surtout développé le mouvement. Dès le début, un nombre incroyable de vidéos et de photographies a été mis en ligne.

Du document brut au vidéo clip, du témoignage de soutien à l’enregistrement de chansons, une mémoire en images s’est constituée, déjouant la censure, et donnant des nouvelles de l’Iran. Rappelons que l’Iran est la troisième nation de blogueurs de la planète après les États-Unis et la Chine, comme le montre Iran : a nation of bloggers (voir la vidéo), un court-métrage d’animation réalisé par des étudiants de Vancouver en 2008.

La population, dont 60% a moins de 30 ans, manie aisément les nouveaux moyens de communication (forums de discussions, portables de troisième génération, etc.), et a beaucoup pesé lors de ces 10èmes élections, particulièrement suivies à l’étranger puisqu’il s’agissait pour l’État iranien de montrer la bonne santé de la République islamique trente ans après la Révolution. Ce point est sans doute le plus important : les films réalisés entre juin et août et visibles sur Youtube et consorts entrent souvent en résonance avec des épisodes proches ou lointains de ces 30 dernières années.

79-89-99-2009

Comme des répliques sismiques, l’Iran semble connaître depuis 30 ans un événement d’ampleur tous les 10 ans. Ce fut la révolution islamique en 79, la mort de Khomeyni en 89, les émeutes de 99, et enfin l’élection de 2009. Si elles sont les plus importantes depuis la naissance du régime islamique, ces contestations ne sont pas les premières.

En effet, après l’interdiction du journal réformateur Salam, les étudiants de Téhéran s’étaient soulevés en 1999. Le mouvement avait popularisé une chanson Yar e dabestani e man (« Mon camarade d’école »). C’est sur ces paroles que la plupart des clips de 2009 ont été réalisée (voir le vidéo).

Un autre geste fondateur de la République islamique est revenu au présent : comme en 79, on a pu voir des jeunes gens se réunir sur les toits des immeubles pour crier : « Allah-o-Akbar » défiant ainsi le régime en l’interrogeant sur son héritage révolutionnaire. Sur des écrans noirs, des vidéos amateurs font entendre ces voix. Une série retient l’attention, elle a pour titre Poem for the rooftops of Tehran (voir la video). On y entend une voix féminine qui date le jour et l’heure avant d’improviser une réflexion sur le pays, ses habitants et Dieu. La série qui s’échelonne du 16 au 21 juin est particulièrement émouvante et montre l’évolution des événements à la manière d’un journal intime, notamment autour du 20 juin, la journée la plus sanglante.

La veille, le guide suprême, Ali Khamenei, avait condamné toute nouvelle manifestation. Sur une vidéo, on voit depuis le haut d’un pont, une foule qui repousse les forces de l’ordre à coups de pierre. La scène est impressionnante : il s’agit en effet de l’artère la plus importante de Téhéran qui relie la Place de la Révolution à celle de la Liberté, itinéraire traditionnel des manifestations comme pour signifier le chemin qu’il reste à parcourir depuis 1979. Voulant se rendre à la Tour de la Liberté, la foule refuse de reculer. Au bout de trois longues minutes, elle parvient à chasser les soldats. On comprend alors où était posté le cameraman qui du haut du pont change d’axe pour montrer les soldats en déroute. Cette scène aurait pu être le symbole de cette journée.

Mais c’est une autre image qui allait faire le tour du monde, celle de la mort de Neda (« Appel » en persan), bientôt surnommée Neda Azadi, « l’Appel de la liberté ». On peut voir ces images dans leur intégralité dans le clip Free my land (voir la vidéo), réalisé par un Iranien vivant à l’étranger, où la violence est atténuée par une voix couvrant les cris comme une berceuse.

Résistance

Le mouvement de juin a fait naître un dialogue entre les Iraniens de l’intérieur et ceux de l’extérieur du pays. Jamais sans doute, la diaspora ne s’était sentie aussi proche de ce qui se passait dans le pays. Ce sont deux jeunes Iraniens de Shanghaï qui eurent l’idée de détourner la bande dessinée Persepolis de Marjane Satrapi pour la faire résonner avec les épisodes présents retrouvant à nouveau un lien entre 1979 et 2009.

L’humour ne perd pas ses droits même après des épisodes tragiques : un film intitulé Ahmadinejad vs Obama (voir la vidéo) met en regard Barack Obama et Mahmoud Ahmadinejad lors de deux prestations télévisuelles. À la mouche qu’écrase Obama en direct répond le papillon qui taquine Ahmadinejad et que celui-ci ne parvient pas à chasser.

Un autre membre de la diaspora, Saeed Salehi, artiste résidant au Canada, présente dans la vidéo Painting series 3 For Iran 2009 (voir la vidéo), un ensemble de sept peintures. Sur la musique Tango to Evora, un zoom arrière part à chaque fois du centre du tableau qu’il dévoile progressivement. La dominante est le vert qui rassemble les partisans de Mir Hossein Moussavi. Une toile s’inspire d’une photographie de Téhéran incendié, la couleur se fait plus sombre. Une autre est plongée dans le noir et représente la capitale avec ses habitants hurlant devant leur fenêtre le cri de ralliement de la jeunesse.

Ces tableaux s’inspirent directement des photographies et des films récemment tournés en Iran, et mêlent allégorie et documentaire, de même que le spot Free Iran (voir la vidéo) : sur un fond noir, une main allume une bougie verte, on entend des cris qu’interrompt un coup de feu, la flamme s’éteint. Le geste se reproduit une deuxième, puis une troisième fois. Alors seulement, la bougie reste allumée. « Yes we can free Iran », lit-on.

La contestation a désormais pris d’autres formes. Président du Festival des Films du Monde de Montréal, Jafar Panahi est apparu portant une écharpe verte comme les autres membres de son Jury. Défendant Women without men à Venise, Shirin Neshat et son équipe ont également opté pour la couleur verte. Enfin, Hana Makhmalabf a présenté Green days où elle montre la campagne présidentielle et ses suites. C’est sans doute un mouvement de longue durée qui s’annonce ; les images amateurs du Net en sont les premières traces.

Bamchade Pourvali, texte publié dans les Cahiers du cinéma, n°649, d’octobre 2009

Voir également l’article « Focus sur l’Iran, à Paris : le cinéma pour dire la contestation », 05 février 2010