Première long métrage de fiction de Sou Abadi, réalisatrice connue pour son documentaire SOS à Téhéran (2002) qui s’intéressait aux centres d’aide de la capitale iranienne, et monteuse de nombreux films dont L’Escale (2013) de Kaveh Bakhtiari, Cherchez la femme est une comédie dynamique au propos audacieux et maîtrisé. En effet, s’emparant d’un sujet délicat : la radicalisation religieuse, la cinéaste par l’humour désamorce et retourne la charge explosive dans un éclat de rire qui n’est jamais au détriment de l’autre mais toujours dans la cherche d’une relation fraternelle entre ses personnages.
Le film se joue sur plusieurs niveaux, générationnel et historique. Armand, né de parents iraniens, est étudiant à Science-Po et spécialiste de Victor Hugo. Il est amoureux de Leila. La jeune femme, également étudiante à Science-Po, vit en banlieue avec ses deux frères. De retour d’un voyage au Yemen, Mahmoud, le frère aîné, n’est plus le même. Il porte la barbe et rejette le mode de vie de sa soeur. Pour l’empêcher d’avoir de mauvaises fréquentations, il lui interdit de sortir. Désespéré Armand imagine un subterfuge : revêtir le voile intégral et prendre le nom de Shéhérazade pour retrouver Leila. Afin de déjouer la méfiance de Mahmoud, il s’initie à la culture musulmane. Si le stratagème fonctionne, les quiproquos se multiplient et Mahmoud finit par tomber sous le charme de la mystérieuse visiteuse. Cet argument initial pourrait s’essouffler s’il ne se nourrissait d’une réflexion plus profonde. En effet, le film ne se développe pas uniquement à travers ces trois personnages mais fait intervenir des figures secondaires dont l’histoire passée ou présente éclaire le propos de la réalisatrice. Ainsi les parents d’Armand, ancien communiste pour le père, Darius, et toujours féministe pour la mère, Mitra, se disputent sans cesse au sujet de la Révolution de 1979 et de leur espoir déçu.
C’est ce rappel du passé et du présent, de l’Iran et de la France qui donne à cette comédie une saveur particulière. On pourrait craindre un rire moqueur qui traduirait la supériorité d’une catégorie de la population sur une autre, il n’en est rien. Sou Abadi témoigne d’une profonde tendresse envers ses personnages. C’est un regard sur une jeunesse présente et le souvenir d’une jeunesse passée dont parle le film. Difficile en effet d’oublier ce mur d’images au générique d’ouverture où l’on retrouve des photos de la Révolution de 1979 rappelant le moment d’euphorie qui avait saisi une jeunesse avant que la répression ne s’abatte. Mais point de nostalgie ici. Par son rythme, Cherchez la femme bat la nostalgie de vitesse pour parler d’aujourd’hui : de la jeunesse amoureuse ou à la recherche de repères, des réfugiés afghans demandeurs d’asile, des manifestations pour l’égalité homme-femme devant l’ambassade d’Iran à Paris. On pense parfois à Marjane Satrapi ou à Buster Keaton mais aussi à Billy Wilder et à Certains l’aiment chaud, une des références explicites de la réalisatrice.
La culture orientale est présente dans sa dimension universelle, celle du Cantique des Oiseaux de Farid Al-Din Attar, présenté par Leili Anvar devant un parterre d’étudiants, mais aussi à travers le souvenir de Mahmoud Darwich quand Leila rappelle à son frère la raison de son prénom. Tous ces éléments font de Cherchez la femme une parfaite mécanique d’humour mais aussi de réflexion. Signalons enfin le plaisir de retrouver à l’écran Béhi Djanati-Ataï et Hamid Djavadan dans le rôle de M. et Mme Yaghmanian, ce dernier dans une scène d’anthologie interroge Mahmoud sur la différence entre le chiisme et le sunnisme rappelant la complexité de ces questions dans une feinte colère !