Ce mercredi 4 octobre sort en salle Téhéran Tabou (2017) d’Ali Soozandeh, présenté à la semaine de la critique à Cannes en mai et au festival d’Annecy en juin 2017. À travers ce premier long métrage, le réalisateur, résidant en Allemagne à Cologne, retrace sous la forme d’un film d’animation en rotoscopie les vies cachées (et gâchées) de la société iranienne sous la forme d’un récit croisé mêlant trois itinéraires : celui de Babak un jeune musicien qui se produit de façon clandestine et dont le travail est constamment interdit par la censure, celui de Pari une mère qui élève seule son fils Elias, témoin silencieux de sa vie et de ses dérives, et celui de Sara, jeune femme mariée à un homme à la situation prometteuse, Mohsen. Ces trois protagonistes vont être confrontés chacun à une impasse face aux mensonges et aux non-dits de la société iranienne.
Interprété par des acteurs vivant à l’étranger (Elmira Rafizadeh, Zar Amir Ebrahimi, Arash Marandi), le long métrage, dont les scènes d’extérieur proviennent de photographies et de films tournés dans la capitale iranienne, offre sous une forme romanesque un portrait percutant de Téhéran et constitue une oeuvre unique en son genre.
En effet, le « cinéma iranien » – au sens large du terme – avait tendance jusqu’ici à se diviser principalement entre des films traitant du passé récent ou ancien de l’Iran tournés essentiellement par des réalisateurs ayant quittés le pays mais forts de leur histoire personnelle et familiale (Persepolis, Women without men, Nous trois ou rien) et des films sur les société iranienne contemporaine réalisés à l’intérieur du pays qu’ils soient diffusés (Ten, Une Séparation) ou interdits par la censure (Les Chats Persans, Taxi Téhéran).
Téhéran Tabou est sans doute le premier film important sur la société iranienne d’aujourd’hui tourné à l’extérieur de l’Iran. La rotoscopie se révèle dès lors pertinente à plus d’un titre. Elle permet d’incorporer des acteurs dans un univers qu’ils ont dû quitter mais qu’ils connaissent bien et de créer une distance artistique par rapport au sujet traité. Nous sommes dans un monde à la fois familier et nouveau, « jamais vu » tel quel et pourtant au plus près de la réalité.
À travers les différents récits, nous découvrons l’obsession qui pèse sur la société iranienne, celle du corps de la femme. Le film permet d’aborder ce sujet d’une manière franche, voire crue, en cherchant moins à choquer qu’à briser l’hypocrisie qui prévaut dans la culture iranienne à l’intérieur comme à l’extérieur du pays sur des questions comme la virginité, l’avortement, la prostitution. Bien qu’audacieux, Téhéran Tabou se révèle d’une étrange douceur. En développant ses personnages, le cinéaste nous les rend proches en particulier Sara et Elias : l’enfant muet plongé dans le monde des adultes et la jeune femme rattrapée par son passé. La transmission d’une génération à l’autre est certainement l’un des enjeux de la société iranienne contemporaine.