Ce mercredi 18 décembre sort en salle Une langue universelle (2024), deuxième long métrage du cinéaste canadien Matthew Rankin. Présenté à la Quinzaine des cinéastes à Cannes en 2024, le film a reçu l’inédit et bien nommé prix « Choix du public » et représentera le Canada pour l’Oscar du meilleur film étranger en 2025.
D’une profonde originalité, le long métrage s’inscrit à la croisée de plusieurs courants du cinéma contemporain.
On peut en effet rattacher Une langue universelle au cinéma iranien de la diaspora apparu avec Persepolis (2007) de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud qui regroupe des films tournés en dehors de l’Iran évoquant la situation des Iraniens en exil. On peut aussi rattacher le film au cinéma québécois à travers des oeuvres distribuées en France telles que Simple comme Sylvain (2023) de Monia Chokri ou Vampire humaniste cherche suicidaire consentant (2023) d’Ariane Louis-Seize qui reprennent un genre, comme la comédie romantique ou le film de vampire, pour y apporter un humour et une tendresse reconnaissables entre mille ! Le genre dont le cinéaste s’empare ici est celui des films sur l’enfance produits par « l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes » en Iran. Enfin, Une langue universelle retrouve l’univers surréaliste du plus célèbre cinéaste de Winnipeg, Guy Maddin.
Si le titre du film est Une langue universelle, celui qui s’inscrit en persan à l’écran est Le chant de la dinde. On laissera au spectateur le soin de découvrir par lui-même la place particulière qu’occupe l’animal dans la trame narrative de l’histoire. En passant du français au persan, Une langue universelle écarte habillement l’anglais, pourtant la langue majoritairement parlée aujourd’hui à Winnipeg, relégué au générique de fin avec la très belle chanson These Eyes de The Guess Who, groupe issu de la ville, pour nous plonger dans un univers à la fois familier et fondamentalement nouveau… Utilisant le langage cinématographique avec une grande maîtrise, jouant sur les échelles de plan, les champs et contrechamps, le décor et les vêtements, Matthew Rankin qui interprète « son propre rôle » est accompagné à l’écran par ses deux coscénaristes : Ila Firouzabadi en conductrice de bus autoritaire et Pirouz Nemati, l’énigmatique guide touristique Massoud. D’autres personnalités iraniennes connues au Québec sont présentes dans le film comme Mani Soleymanlou, le maître d’école aux répliques cinglantes, ou Hemela Pourafzal, la passagère qui refuse de voyager avec une dinde ! Citons également dans le rôle de monsieur Castonguay, la comédienne Danielle Fichaud.
Certains spectateurs penseront sans doute à Fargo (1996) des frères Coen, d’autres à Wes Anderson. On peut également trouver au film une dimension littéraire par sa douce mélancolie, à la fois proustienne renvoyant à La Recherche du Temps perdu (1913-1927) et proche des annotations, comme autant de madeleines de Proust, du Je me souviens (1978) de Georges Perec. Une langue universelle deviendra de toute évidence l’un de vos plus beaux et permanents souvenirs de cinéma de cette année !